En colère pour l'indépendance de la presse
« Debout pour le journalisme! ». C'est sous ce mot d'ordre que se sont rassemblé lundi 5 novembre 2007 les différentes organisations syndicales, ainsi qu'une petite centaine de vaillants gazetiers, à l'appel de l'intersyndicale de la profession ( SNJ, USJ-CFDT, SNJ-CGT, SJ-CFTC, SJ-FO) et de la FEJ, la Fédération Européenne des Journalistes.
Le ciel est gris ce jour-là derrière l'Assemblée nationale. Gris de la colère des journalistes, venus défendre l'indépendance de leur profession. Ils sont arrivés seuls ou en groupe, en simples manifestants ou chargés d'un reportage pour l'organe de presse qui les emploie. Blocs-notes, caméras, crayons et appareils photos sont affairés à enregistrer l'évènement, dans une mécanique bien réglée. Grands reporters ou correspondants locaux, critiques et commentateurs, éditorialistes ou rubricards, ils sont là, logés à la même enseigne, dans la froideur de novembre, leur écharpe autour du cou et leur curiosité chevillée au corps. C'est devenu une habitude pour eux, mais ce jour-là pourtant est un peu particulier. Car tout en exerçant leur métier, ils affirment leur présence symbolique. Situation étrange où l'arroseur est à la fois l'arrosé, le rapporteur le rapporté....
Les plus remarquables sont ceux des Echos, qui brandissent des pancartes au jeu de mot très goûteux: « L'indépendance, ce n'est pas du luxe ». Bernard Arnault n'a qu'à bien se tenir... Comme par une amère riposte, ils seront rachetés le soir-même par le patron de LVMH (Louis Vuitton Moët Hennessy), contre qui ils étaient pourtant venus protester ce jour-là.
D'autres journalistes arborent des écharpes aux couleurs des syndicats auxquels ils appartiennent. Ils viennent de France 3, de l'AFP (Agence France Presse), du Monde. Le rouge domine, mais aussi le vert, des journalistes anglophnes du N.U.J. (National Union of Journalists), le syndicat des journalistes britanniques et irelandais. Quelques étudiants des écoles de la profession, inquiets pour leur avenir, ou de simples citoyens étaient aussi venus les soutenir. Peu de monde au final – une centaine de visu, 200 selon les syndicats-, un chiffre qui s'explique certainement par le faible taux de syndicalisation de la profession, ainsi que par le manque de relais dans les médias de l'évènement.
L'ambiance, elle, est à un mélange de chaleur humaine et de mines graves ou attentives, qui écoutent en silence le discours. Derrière son mégaphone, le syndicaliste de la CGT égraine les motifs de mécontentements : précarisation de la profession, pressions financières et politiques « Le service publique est sous-financé, et ce malgré le fait que Nicolas Sarkozy soit passé 173 fois sur France 3 ». On apprend que des suppressions de postes sont prévues à l'AFP et à la BBC (British Broadcasting Corporation), par la bouche de Jeff Hunter, du N.U.J. : « Nous sommes ici parce que nous avons les mêmes problèmes que nos camarades en Europe. » Une jeune femme brune prend ensuite la parole avec force conviction. Kathie Cohen, du journal Les Echos, explique aux participants le problème du rachat par LVMH.: « Imaginez Renault achetant un titre de presse automobile, et que ce journal publie un article sur Peugeot... ». En aparté, elle nous confie que ses confrères et elle regrettent surtout d'avoir été écartés des négociations.
(De droite à gauche: Armelle, Laura, Flora et moi. Merci à Nigel! www.nigeldickinson.com)
D'où l'idée, avancée ce jour-là par les organisateurs du rassemblement, de créer un statut des équipes rédactionnelles, qui pourrait saisir le comité d'entreprise, « dans le cadre d'un droit d'alerte aménagé et spécifique » . Sept autres propositions, qui jetent les bases d'un « Grenelle de la presse », seront ensuite détaillées1. Derrière le cortège, un homme marche à grands pas, la clope au bec. Il s'agit d' Henry Maler, président d'Acrimed. « Les journalistes n'ont pas le monopole de l'information », nous dit-il au détour d'une conversation sur le journalisme-citoyen. Mais où sont-ils les citoyens? Comme les journalistes, ils étaient ce jour-là absents.
1à lire sur le site de l'intersyndicale des journalistes : http://www.intersj.info/
Pétition à signer ici
et le texte des propositions là et ci-dessous
Les syndicats avancent les propositions de modification législatives suivantes :
❚ CHAQUE TITRE (écrit, audiovisuel,multimédia) devra disposer d’une équipe rédactionnelle permanente et autonome composée de journalistes professionnels au sens de l’article L 761-2 du Code du travail, collaborant régulièrement au titre, qu'ils soient mensualisés ou rémunérés à la pige. L'intégration/mensualisation devra être proposée aux journalistes pigistes qui en expriment le souhait. Le recours à des journalistes en CDD ne sera autorisé que dans les cas prévus par la législation en vigueur.
❚ LA LOI FERA OBLIGATION à l’éditeur de remettre chaque année aux institutions représentatives du personnel, en même temps que ses comptes annuels, la composi

❚ QUELLE QUE SOIT la forme juridique du titre, quelle que soit la forme juridique de l’équipe rédactionnelle, cette dernière sera obligatoirement consultée par la direction sur tout changement de politique éditoriale ou rédactionnelle.
❚ CETTE ÉQUIPE RÉDACTIONNELLE sera également obligatoirement consultée par l’employeur avant et lors de la nomination du responsable de la rédaction, quel que soit l’intitulé de sa fonction (directeur de l’information, directeur de la rédaction, rédacteur en chef…). Celui-ci devra présenter son projet éditorial à l’équipe rédactionnelle, qui pourra s’opposer à sa nomination ou à son projet.
❚ PAR LA SUITE, si la gravité de la situation l’exige, l’équipe rédactionnelle pourra prendre l’initiative d’un scrutin de défiance. La rédaction aura la faculté de saisir le comité d’entreprise. Celui-ci pourra agir dans le cadre d’un droit d’alerte aménagé et spécifique. Là encore, en cas de non-respect de tout ou partie de ces dispositions, les diverses aides publiques dont bénéficie l’entreprise de presse fautive seront suspendues jusqu’à ce que cesse ce manquement. Cette sanction sera publiée et diffusée par l’entreprise de presse.
En outre, sans prétendre apporter aujourd’hui de réponse au débat relatif au statut des entreprises de presse, nous rappelons qu’à tout le moins ces entreprises ont, du fait de leur activité, une responsabilité sociale particulière.

Il découle de celle-ci que ces entreprises doivent être soumises à des obligations accrues de transparence :
❚ ELLES DEVRONT PUBLIER et diffuser chaque année toutes les informations relatives à la composition de leur capital et de leurs organes dirigeants, l’identité et la part d’actions de chacun des actionnaires, personnes physiques ou morales. Elles devront porter ces informations à la connaissance du public.
❚ CETTE OBLIGATION DE PUBLICATION et de diffusion devra également s’appliquer dès qu’un changement est intervenu dans le statut, l’organigramme ou la composition du capital de la société éditrice et/ou propriétaire.
❚ LES NOMS DES PRINCIPAUX DIRIGEANTS et des principaux actionnaires (plus de 15 % du capital) devront également être mentionnés dans chaque numéro de la publication concernée.