la décroissance et le journal Le Monde
A la lecture des articles du Monde sur le mouvement de la décroissance, et notamment le dernier tir en date, celui d’Elise Vincent, intitulé Les adeptes de la "décroissance" en manque de relais politiques[1] , je constate non seulement un profond manque d’observation de la vie réelle de ce mouvement, mais aussi une volonté de tirer à boulet rouge à tous prix qui ne peut que nuire à l’esprit d’objectivité.[2]
Qui-suis-je pour vous dire cela ? Est-ce que je parle en militante de ce mouvement ? Suis-je moi-même endoctrinée par ces « réactionnaires » ennemis du progrès, idéalistes déconnectés de l’évolution de la société, comme le laisse entendre à leur sujet l’article d’Elise Vincent ? Et bien pas du tout. Je vote à chaque élection –ou presque- pour l’un des grands partis au pouvoir ; je lis Le Monde et les grands quotidiens nationaux chaque jour ; mon parcours est assez académique –classes préparatoires, fac et sciences-po - ; enfin j’ai choisi, comme mode d’action, d’adhérer et de m’impliquer dans des grandes associations reconnues pour leur sérieux, leur esprit d’ouverture et surtout leur modération, comme, pour n’en citer qu’une, Amnesty International.
Mais voilà, je cultive une chose qu’ Elise Vincent a peut-être oubliée, qui est la curiosité. Est-elle allée voir de prés à quoi ressemble le mouvement de la décroissance ? A-t-elle enquêtée sur le terrain ? Cela m’étonnerait. A ne s’appuyer que sur Le journal de la décroissance, il est évident que le constat que l’on va dresser est celui de la radicalité, et du manque d’ouverture d’esprit. Mais ce journal est loin de faire l’unanimité parmi les décroissants. La plupart des décroissants, je dirais même, le trouvent arrogant, intolérant, extrémiste, mais le lisent quand même, car il est une source d’information qui complète d’autres sources d’information, et qu’en dépit de sa radicalité, il offre des pistes de réflexion intéressantes, qu’on est libre, ensuite, d’appliquer ou non.
Moi, je suis curieuse, et c’est pour cela que, n’ayant pas la fibre radicale, je me rends pourtant chaque année au forum social européen, j’assiste à des réunions de tout genre – marxistes, décroissantes, anarchistes, néolibérales, féministes, écolo, UMPS, PS, etc. Il est vrai que, si j’analyse les « cibles » de ma curiosité, un certain a priori de sympathie me porte en majorité vers les mouvements de gauche, je l’avoue, mais passons : vous l’aurez compris, la position que j’essaie d’adopter est celle de l’observatrice, et je ne parle donc pas en militante de la décroissance.
Les décroissants, je les ai rencontrés à l’occasion d’une marche, dans le nord, organisée par le collectif Marche pour la décroissance. Je m’attendais un peu à trouver une bande de hippies déconnectés –on a beau essayer de ne pas se faire d’a priori, on en découvre toujours rétrospectivement. Je les ai trouvés ouverts d’esprit et modérés. La décroissance qu’ils prônaient était une décroissance à l’échelon individuel : il est donc impossible de les attaquer par l’argument de « non-sens économique ». Le processus de réduction des déchets est en outre un processus que chacun s’applique en fonction de son avancement dans la réflexion et dans l’application de ces idées. Il ne s’agit pas de jeter à tout prix son frigo, comme le caricature Elise Vincent. Mais d’échanger quelques idées simples où chacun piochera le geste qui lui convient, et qu’il lui sera possible d’appliquer. Tel était le message du groupe de marcheurs que j’ai rencontrés. Ainsi étaient organisés divers ateliers, comme l’atelier « vélo couché », « fabrication artisanale de crèmes de soins », « auto-stop », etc. Personnellement, je ne fabrique pas mes crèmes de soin, je mange assez peu bio, et je n’ai pas encore de « vélo couché », mais ces ateliers et ces tours de parole où chacun apporte sa semence d’idées m’ont donné envie de faire plus de vélo, d’aller plus souvent au marché, de recycler un peu plus mes déchets, et de trouver des moyens pour les réduire, car oui, le non-sens économique, et même logique, est bien plutôt dans l’idée d’une croissance infinie, que dans l’idée d’une décroissance individuelle, qui permettra de stagner notre production de déchets (puisque d’autres continueront à polluer sans vergogne), en attendant que d’autres pays, qui n’en sont pas au même niveau de développement économique que nous - et qui ont donc droit à ce développement, durable ou pas- puissent nous rejoindre.
Les décroissants ne prétendent pas imposer un mode de vie insupportable aux autres : ils prétendent montrer par leur mode de vie qu’on peut se passer de certaines choses, sans en ressentir de privation, et en en tirant même une certaine forme de bonheur, qui vient, comme ce que nous enseigne Epicure, du fait que ne sommes plus dépendants des « besoins non-nécessaires » : « Il faut se rendre compte que parmi nos désirs les uns sont naturels, les autres vains, et que, parmi les désirs naturels, les uns sont nécessaires et les autres naturels seulement », disait le philosophe dans