Etudier ou prendre les armes

Publié le par Ether

                      



Comment faire pour se cultiver et apprendre dans un pays en guerre? Portrait de Raïssa, tchétchène, et résistante armée de cahiers et de livres

« A l' université, on y allait pour ne pas rester à la maison. Pour ne pas devenir dépressifs, et pour nous prouver que nous avions toujours une place dans le monde. » Raïssa, 27 ans, originaire de Grozny, explique le quotidien d'un étudiant dans cette ville de Tchétchénie. Ce petit bout de femme est venu étudier en France grâce à une association, « Etudes Sans Frontières ». Elle est grande et souriante, avec de longs cheveux attachés très haut en queue de cheval. Elle ne diffère guère, dans son jean noir et son pull à col roulé, de n'importe quelle autre étudiante de la Cité Universitaire.

C'est là qu' elle nous accueille, dans sa jolie chambrette tout en bois, qu'elle partage avec une autre fille de l'association. « J'adore ma chambre, je m'y sens vraiment bien. Ici c'est la fondation Deutsch de la Meurthe, c'est la plus ancienne bâtisse de la Cité U, il y a même des tournages parfois ! » nous dit-elle fièrement. Aux murs, un poster relatant l'histoire de l'Union Européenne, et des photos de sa famille. Dans sa bibliothèque, quelques livres de français, un Balzac et plusieurs Harry Potter côtoyent un Boulgakov. S’y ajoutent les oeuvres complètes d'Albert Londres, fameux reporter du XIXè siècle, car Raïssa est étudiante au Centre de Formation des Journalistes (CFJ).

Raïssa a voulu exercer ce métier grâce à une rencontre avec des reporters français. «  C'est à cause des risques qu'ils prennent pour dire la vérité, cela m'a touché. » Pendant la deuxième guerre, elle écoutait, tapie au fond de sa cave, Liberty life, une radio tchèque. « Cela me réconfortait énormément. ». C'était en 1999, quelques semaines après le début de la deuxième guerre, qui l'obligea à interrompre sa deuxième année de Français.

Une menace perpétuelle

Un an plus tard, Raïssa revient à l'université pour continuer ses études, mais les conditions matérielles sont catastrophiques. « La ville était complètement détruite, il n'y avait que des ruines, des arbres déchiquetés. Pour aller à l'université, il nous fallait deux heures, car des soldats russes nous arrêtaient tout au long du chemin. Les salles de classe n' avaient ni portes, ni électricité, ni chauffage, et on manquait vraiment de professeurs. On faisait du feu avec du bois… » En plus de cette vie rustique, Raïssa doit aussi affronter la menace perpétuelle des bombardements et des enlèvements. « Les roquettes, les disparitions, toutes ces choses étaient devenues presque ‘normales’. »

Mais la vie continue, coûte que coûte, et Raïssa ne perd jamais le moral. « Nous avons beaucoup ri aussi. Et on séchait les cours qui nous ennuyaient! ». Etudier devient une façon de ne pas se laisser abattre, de résister à sa manière. « Certains de mes amis, qui sont restés entre quatre murs, ont perdu le goût de la vie à force de ne rien faire. L'absence d'éducation, de culture les a desséchés. Alors, ils mettaient une ceinture d'explosifs autour de la taille, et voilà. ».

Raïssa, quant à elle, a choisi une autre voie que la violence. Sous sa douceur se cache une grande pugnacité. « Je suis contente d'avoir vécu cette guerre sans perdre ma joie de vivre et ma force d'avancer. ». A n’en pas douter, Raïssa a un bel avenir devant elle.

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